18 novembre 2024
18 février 2012
Couverture médiatique: Le Soleil La nordicité apprivoisée: chaud dehors comme dedans par Annie Morin (18 février 2012)
(Québec) Québec, ce n’est pas le Nord québécois. La capitale est située sous la barre du 49e parallèle, qui fait office de frontière sur les cartes du gouvernement provincial. Son histoire est néanmoins intimement liée au froid et à l’hiver, tout comme son développement social et économique. Alors que s’ébranle le Plan Nord, Le Soleil a fait le point sur l’évolution de la nordicité de la ville de Québec. À lire avec ou sans mitaines.
Dans une ville comme Québec où le froid règne en maître une bonne partie de l’année, le défi est d’avoir chaud. À l’intérieur des bâtiments, c’est chose faite et bien faite. À l’extérieur, par contre, beaucoup de travail reste à faire pour vraiment profiter de l’hiver. Des chercheurs ont lancé le bal en étudiant les microclimats du boulevard Laurier et de la colline parlementaire.
Si on tient pour acquis que tout le monde met sa tuque et ses mitaines, il n’y a pas mille façons d’avoir chaud dehors dans un climat nordique. «Il faut optimiser l’exposition au soleil et réduire au minimum l’exposition au vent», résume André Potvin, professeur d’architecture à l’Université Laval.
C’est lui qui a commencé à répertorier les microclimats de la capitale, ceux du boulevard Laurier pour la Ville de Québec et ceux de la colline parlementaire pour la Commission de la capitale nationale du Québec (CCNQ). Aux deux endroits, l’artère principale – le boulevard Laurier dans un cas et le boulevard René-Lévesque dans l’autre – est un couloir naturel pour le vent et son fidèle ami le froid.
Pour y faire échec, il faut donc prévoir les constructions et les aménagements de façon à protéger les piétons et les flâneurs en plus d’aider le soleil à faire son travail dans les poches microclimatiques qui sont plus nombreuses qu’on pourrait le croire.
Ainsi en est-il du parc de l’Amérique-Française, du parc de la Francophonie et d’une petite partie du parc George-V, où les astres sont particulièrement bien alignés. La rue Saint-Amable, la place D’Youville, c’est bien, mais il fait plus froid sur le parterre de l’Assemblée nationale, où les arbres sont nombreux. Sur le boulevard Laurier, ce sont les constructions en hauteur qui brouillent les cartes en dispersant le vent.
Ces données doivent aider les planificateurs, urbanistes et architectes, à orienter le développement de Québec. Le but est d’étirer la belle saison et d’atténuer le froid hivernal, certes, mais aussi de limiter les dépenses énergétiques pour le chauffage des bâtiments et le roulement des automobiles. «Il y a un rapport évident avec le développement durable. Si on veut se déplacer à pied, il faut que ce soit confortable», souligne Denis Angers, porte-parole de la CCNQ.
Il y a tout un registre d’actions possibles pour atteindre ces buts. L’administration municipale peut jouer sur la densité des quartiers, ajuster l’orientation et la hauteur des bâtiments, mieux localiser et orienter les espaces publics.
Barrière physique
À plus petite échelle, on peut également installer des barrières physiques ou végétales pour couper le vent, positionner les bancs publics pour profiter du soleil printanier, mettre moins de fenêtres au nord et plus au sud. Le choix des matériaux a aussi son importance. Alors que le béton accumule le froid comme la chaleur, le bois reflète plus fidèlement la température extérieure.
Selon les calculs d’André Potvin, la différence de température entre les coins froids, soumis au vent et privés de soleil, et les zones plus chaudes, où les éléments sont domptés, tourne autour de 13 °C en moyenne. «Ça veut dire que s’il fait 0, vous avez l’impression qu’il fait 13. Ce n’est pas rien», insiste M. Potvin.
Dans son livre Shaping Cities for Winter, le fondateur de l’Association des villes d’hiver, l’Ontarien Norman Pressman, estime possible, à force d’interventions, d’augmenter de 30% le nombre de journées confortables à l’extérieur.
Lumière prescrite
Pour officialiser le droit au soleil et la lutte contre le vent, des gouvernements locaux vont beaucoup plus loin que les premières analyses microclimatiques réalisées à Québec. Ils prescrivent la quantité de lumière que doivent laisser filtrer les bâtiments, interdisent la formation de nouveaux couloirs de vent, régissent le choix des matériaux. Les promoteurs doivent montrer patte blanche avant d’obtenir un permis de construction.
De telles réglementations existent depuis longtemps en Europe et ont été importées récemment aux États-Unis, note M. Potvin, qui juge cette avenue intéressante.
L’architecte Pierre Thibault, qui est allé plusieurs fois en Scandinavie, croit que Québec a beaucoup à apprendre en se comparant avec des villes nordiques comme Trondheim (Norvège) ou même Oslo (Norvège) et Copenhague (Danemark). Depuis les années 50, les yeux sont plutôt tournés vers les États-Unis, pays plus chaud que froid. «Il faut prendre les bons modèles. Si on regarde vers le sud, c’est difficile de devenir nordique», dit le professionnel, qui se fait un point d’honneur d’intégrer ses créations dans la nature et vice versa.
Selon lui, l’arrivée d’un tramway devrait permettre de repenser plusieurs carrefours et espaces publics pour favoriser les activités extérieures tout au long du parcours. Les écoquartiers, qui misent sur l’économie d’énergie, ont tout pour devenir des vitrines d’une nordicité assumée.
En attendant que ces grands projets lèvent de terre, M. Thibault propose de tenter des petits gestes. Les abribus tempérés du Réseau de transport de la Capitale, il applaudit. Mais il leur juxtaposerait volontiers des trottoirs chauffants pour encourager les automobilistes à opter pour le transport en commun. La dépense énergétique serait compensée par la réduction de la pollution automobile.
S’il juge primordial pour ne pas dire prioritaire de déneiger les trottoirs et certaines pistes cyclables, M. Thibault garderait bien quelques corridors pour permettre aux sportifs d’aller travailler en ski de fond. «On skie déjà sur les Plaines. Ce serait logique d’étendre le réseau.» Des volontaires?
Attention aux tours
Les constructions en hauteur auxquelles rêve le maire Régis Labeaume pourraient nuire aux efforts visant à réchauffer la ville de Québec.
«Quand on entend M. Labeaume dire que ça prend des tours, attention parce que la tour, ça crée des anomalies éoliennes vraiment indésirables», rappelle André Potvin, professeur à l’École d’architecture et spécialiste des microclimats.
C’est le cas à la base de l’édifice Marie-Guyard, plus connu sous le nom de complexe G, sur la colline parlementaire. «J’y ai mesuré des vitesses de 85 km/h, une petite journée ordinaire où on enregistrait un vent de 10 km/h à l’aéroport. Une petite mémé sur la glace, elle est emportée», témoigne M. Potvin.
Le problème se transporte à la base de tous les gratte-ciel isolés, comme dans le secteur du complexe Jules-Dallaire, à Sainte-Foy, où il fait un froid de canard.